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Des « lofts à chouettes » pour sauver les oiseaux

Chouette effraie.

La chouette effraie disparaît de nos paysages, menacée par les voitures et la perte de ses habitats naturels. Pour lui offrir de nouveaux lieux de vie, une association de l’Yonne pose des nichoirs dans les églises et greniers des communes rurales.

Les Sièges (Yonne), reportage

Il est difficile de l’apercevoir tant elle aime la tranquillité et les endroits obscurs. Pourtant, cela fait des siècles que la chouette effraie (Tyto alba) côtoie les humains en toute discrétion. Celle que l’on surnomme l’« effraie des clochers » a délaissé le milieu naturel pour faire son nid dans les clochers d’églises, les granges et toutes sortes de vieilles bâtisses. Dans l’Yonne, elle cohabite avec deux autres espèces de chouettes, la hulotte (Strix aluco) et la chevêche d’Athéna (Athene noctua), « mais l’effraie est la seule à nicher dans les habitations humaines », explique Didier Duchesne, de l’association CPN Réveil Nature. Grâce à celle-ci, les chouettes disposent de nouveaux nichoirs dans des églises et des greniers. Des habitats de plus en plus rares, et pourtant essentiels.

« Aujourd’hui, les populations s’effondrent, car on grillage les clochers à cause des fientes et des pelotes de réjection, qui font sales », précise-t-il. En plus des clochers grillagés, les granges sont remplacées par des hangars métalliques et les greniers sont rénovés. L’espèce, qui ne trouve pas de lieux où se reproduire, décline peu à peu. Entre 20 000 et 50 000 couples ont été recensés en France depuis la fin des années 1990 à 2000, selon la dernière étude à leur sujet. À cela s’ajoutent les collisions, car en chassant les campagnols aux bords des routes, elles sont heurtées par les voitures. Près de 20 000 seraient ainsi tuées chaque année en France, selon la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

Le nichoir est fixé derrière une fenêtre à Les Sièges, par l’association CPN Réveil Nature. © Sophie Vo/Reporterre

Un désastre pour celle que l’on reconnaît facilement, avec sa couleur blanche teintée de roux qui lui a valu d’être appelée la « dame blanche ». Si sa silhouette blafarde lui donne l’allure d’un fantôme, c’est surtout son cri qui est effrayant. « Un cri strident, qui n’a rien à voir avec le hululement bien connu de la chouette hulotte, poursuit Didier Duchesne. Autrefois, cela terrifiait les villageois qui clouaient des cadavres de chouettes à leurs portes pour conjurer le mauvais sort. Elle est encore considérée comme un oiseau de mauvais augure dans certains villages, même si ça reste très marginal. Et ces pratiques n’ont jamais fait disparaître la chouette. » Contrairement à celles d’aujourd’hui.

Une soixantaine de nichoirs posés

Pour lutter contre le recul de l’espèce, l’association CPN Réveil Nature pose des nichoirs dans les clochers d’église et les greniers du nord de l’Yonne. Cela fait trois ans que Didier Duchesne sillonne les villages pour démarcher les mairies et sensibiliser les habitants. « Jusqu’ici, tous les maires ont accepté, précise-t-il. Nous avons aussi des demandes de particuliers et en tout, une soixantaine de nichoirs ont été posés. »

Luc et Didier assemblant le nichoir à Les Sièges. © Sophie Vo/Reporterre

En cette matinée de septembre, c’est la commune rurale Les Sièges qui va être dotée d’un nouveau nichoir. Didier Duchesne retrouve son équipe devant le bâtiment de la salle des fêtes. Luc et Didier, deux bénévoles, l’accompagnent depuis le début du projet. Équipés de leur malle de bricolage et de panneaux de bois, ils se faufilent dans l’escalier étroit qui les mène jusqu’aux combles. « Il ne faut pas avoir peur des araignées », prévient-on. Là-haut, la lumière perce à travers de minces fenêtres ; et laisse entrevoir un sol poussiéreux et encombré de quelques gravats.

Dans la pénombre, Luc et Didier assemblent les planches en s’éclairant de leurs lampes frontales. Les nichoirs sont livrés en kit par l’Esat de Sens, un établissement qui aide à l’insertion des adultes handicapés par le travail. C’est un dispositif tout simple : une boîte en bois, avec un trou d’envol et une cloison de séparation pour isoler le nid. Une fois assemblé, le nichoir est fixé derrière l’emplacement de la fenêtre puis fermé à l’arrière par une trappe. Un travail plutôt facile, car d’autres fois, il arrive que les bricoleurs doivent se contorsionner à travers les poutres, ou creuser un passage dans le grillage d’un clocher. Cette fois, la manœuvre aura à peine duré une demi-heure.

« Une fois qu’elle est installée, plus personne n’y passe »

Le « loft à chouettes », comme ils l’appellent, est maintenant prêt à accueillir ses habitants. Il faut être patient, car l’installation d’un couple peut prendre plusieurs années. « Parfois, un faucon crécerelle ou un pigeon peut venir y nicher, mais une fois que la chouette effraie est installée, plus personne n’y passe, explique Didier Duchesne. Elle pond deux fois par an, entre 5 et 10 œufs quand il y a beaucoup de nourriture ; les mulots, musaraignes et petits rongeurs composent l’essentiel de son menu. Mais la chouette est sensible au froid, les hivers les plus rudes peuvent venir à bout de 70 % de la population. »

De jeunes chouettes dans un nichoir posé à Michery (Yonne). © CPN Réveil Nature

Si Didier Duchesne est passionné de nature, c’est parce qu’il a découvert dans les années 1980 le journal La Hulotte et les clubs CPN du même fondateur. Nés il y a cinquante ans et regroupés aujourd’hui en fédération (FCPN) [1], ces clubs ont essaimé partout en France et rassemblent des personnes qui ont décidé de mieux « connaître et protéger la nature » ensemble. Avec son association CPN Réveil Nature, il œuvre aujourd’hui à faire découvrir aux habitants de Sens et des alentours la nature de proximité, car on « ne protège que ce qu’on comprend et ce qu’on aime ». C’est en 2019 qu’il a commencé à relayer l’opération Un clocher, une chouette, lancée par l’Aspas, l’Association pour la protection des animaux sauvages.

Cette année, sept nichoirs ont déjà vu naître des petits et une vingtaine de jeunes se sont envolés des boîtes. Le suivi n’a lieu qu’une à deux fois par an, pour ne pas déranger les couples et leurs petits. Le nichoir installé, l’équipe ne repassera donc à Les Sièges qu’à la fin du printemps. D’ici là, ils ne chômeront pas. Avant la fin de l’année, une vingtaine d’autres seront posés. En attendant, ils s’éclipsent, espérant qu’à leur retour la chouette aura fondé une famille.

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