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Christophe Fauré : Notre intense besoin d’écoute

Pascale Senk
Publié le 07/07/2009 à 10:51 Modifié le 11/10/2011 à 18:00
Christophe Fauré : Notre intense besoin d’écoute

“Avant, aller chez le psy, c’était être fou ; aujourd’hui on lui demande de soigner tous nos petits bobos”, remarque le psychiatre Christophe Fauré. On oublie souvent qu’être accompagné c’est d’abord être écouté. Et qu’un ami, un parent, un groupe de parole peuvent aussi être des alliés précieux.

Psychiatre et psychothérapeute, le docteur Christophe Fauré est devenu un auteur grand public grâce à ses essais, à la fois théoriques et pratiques, sur le deuil et la perte. “Vivre le deuil au jour le jour” (J’ai lu, 2003), “Le Couple brisé” (Albin Michel, 2002), “Vivre ensemble la maladie d’un proche” (Albin Michel, 2002).

Psychologie : Vous vous êtes spécialisé dans l’accompagnement du deuil, de la rupture… Un psy peut-il calmer toutes nos douleurs ?

Christophe Fauré : Il convient d’abord de rappeler la dimension d’écoute et d’accompagnement du psy. Celle dont on a besoin dans une tourmente émotionnelle : lorsque l’on vient de rompre, par exemple, ou même de perdre pour toujours une personne aimée. L’espace du psy est alors un espace privilégié, une « niche » où l’on vient déposer ses émotions, nommer sa colère, sa peur, afin de ne pas les refouler et de ne pas s’y enliser. Dans ce cas, le psy joue le rôle « d’oreilles qui écoutent ». Il n’est pas forcément opportun de réinterroger avec lui toute son histoire de vie. L’approche de cette dimension, qui s’intéresse à la structure de la personne, relève plutôt de la psychothérapie. Le rôle du psy est alors de nous aider à réexaminer nos « lignes de force » qui dictent nos choix, nos comportements…

Selon vous, quand est-ce que l’on doit plutôt envisager une psychothérapie

Il est difficile de fixer une hiérarchie de la souffrance. J’aime bien la notion de « douleur totale » utilisée en soins palliatifs : elle désigne une douleur physique, à laquelle peut s’associer une douleur émotionnelle, éventuellement une douleur sociale parce qu’elle empêche d’être en lien avec autrui, sur fond de souffrance existentielle… On peut ainsi parler de « souffrance globale », c’est-à-dire d’un dysfonctionnement qui s’installe de façon durable et a des répercussions à différents niveaux. La souffrance est telle que l’on ne peut plus avancer…

Quand il y a impasse, que cela s’éternise, je crois qu’il est temps d’aller voir un psy pour commencer un vrai travail. On est trop souvent l’artisan de sa propre souffrance. On pense construire son bonheur mais, en méconnaissant celles de nos attitudes qui génèrent de la souffrance, on ne produit que du malheur. On peut alors en arriver au constat lucide, mature et humble que l’on ne s’en sort pas tout seul, et qu’il est temps d’aller consulter.

Quand est-il nécessaire d’avoir recours aux médicaments ?

Quand le niveau de souffrance est tel que l’on ne peut plus « fonctionner », que l’on ne peut même plus avoir accès à une réflexion sur soi-même. Parfois, il est tout simplement impossible de commencer une psychothérapie : il y a une telle lourdeur, une telle tristesse, la présence éventuelle d’idées suicidaires, qu’un traitement antidépresseur devient nécessaire. Il aide à fournir un cadre et un espace où il devient possible de travailler. Ce traitement médicamenteux n’a de sens que s’il est accompagné d’une cure par la parole.

Aujourd’hui, certains voient un psy parce qu’ils ne trouvent pas de partenaire amoureux, parce qu’ils ont des soucis dans leur travail…

C’est une dérive possible. Il y a encore quelques années, aller voir un psy signifiait être fou, alors on s’échinait à tout gérer seul dans sa vie. Maintenant, on bascule dans l’autre extrême, on demande au psy de prendre en charge tous nos petits bobos, d’être un marieur… Mais investir la psychothérapie de tels espoirs fait courir le risque d’une grande déception, car elle ne peut répondre à toutes les attentes. Il est possible d’effectuer un véritable travail de « débroussaillage » pour dépasser et comprendre certains blocages émotionnels ou affectifs. Cependant, le thérapeute ne doit pas être une béquille qui se substitue à la responsabilité de la personne. C’est elle seule, par exemple, qui osera une rencontre amoureuse, et ceci se fait bien évidemment hors du cabinet du psy !

Quels signes me montrent que je peux me passer d’un psy ?

Ma responsabilité dans ma vie quotidienne, c’est d’être capable de répondre aux événements du mieux que je peux. Et si ma vie, bon an, mal an, avance, si je ne souffre pas trop de mes choix, si je traverse les changements, les pertes et les deuils sans trop de complications, je n’aurai pas forcément besoin d’aller voir un psy… En revanche, si je me rends compte que ma capacité à répondre à certaines situations n’est plus appropriée, cela devient ma responsabilité de me faire aider.

Quelles autres ressources que le psy se révèlent efficaces lorsque l’on souffre ?

Prenons l’exemple du deuil : on recherche avant tout une écoute, et les groupes de paroles peuvent suffire. Très souvent les gens dans cette situation vont voir un psy parce qu’il n’y a plus de sens communautaire dans nos villes. Les réseaux associatifs recréent cette dimension. Dans une étude britannique, on a demandé à des veuves, plusieurs années après le décès de leur époux, de lister tout ce qui les avait aidées dans ce moment difficile. Il est apparu qu’un réseau de soutien de qualité – amical ou associatif – fédérateur pour celui qui souffre, fait beaucoup de bien. Cela prouve que, si l’on n’a pas tous besoin d’une psychothérapie, on a néanmoins besoin d’être accompagné. On a tous, des temps de vie où il faut mobiliser ses réseaux de soutien…

Comment définiriez-vous un soutien “de qualité” ?

C’est celui qui repose sur la confidentialité, l’absence de jugement. C’est un espace où l’on sait que l’on ne sera pas interrompu si l’on parle, ni trop rapidement conseillé, ni réprimandé, secoué ou guidé. Le soutien de qualité, qu’il s’agisse d’un ami, d’un parent ou d’un groupe, s’inscrit dans le temps, permet le « non-faire », à l’inverse de ces relations où l’autre essaie de nous apporter des réponses rapides pour calmer sa propre angoisse devant notre situation… Si l’on a cette grande chance de trouver une ou deux personnes qui sont dans le non-jugement, dans la confidentialité et qui tiennent dans la durée, on ne sera pas trop mal loti, même si l’on ne trouve pas de psy.

Mais cela suffit-il lorsqu’il s’agit de changer nos comportements destructeurs ?

Non, bien sûr. Seul un bon psy pourra remettre en question notre fonctionnement et notre image de nous-même. En allant consulter, on accepte d’être confronté à tout ce que l’on a de pathétique : notre jalousie, notre orgueil, notre esprit de rivalité. En ce sens, la « niche » du psy, dans son versant « psychothérapeutique » n’est pas confortable du tout. Seule sa neutralité permet de s’entendre dire des choses qui ne vont pas dans le sens de ce que l’on pense de soi. Les liens d’amitié ou de réseaux, eux, permettent rarement cette dérangeante confrontation.

Jusqu’à quel point peut-on enrayer le mal de vivre ?

Je crois qu’il y a certains aspects de la souffrance face auxquels le psy ne peut rien. Ainsi, si je vais voir un psy pour être aimé, il se peut qu’au bout de quelques années de thérapie je rencontre quelqu’un… Mais que sera-t-il advenu de cette souffrance de fond qui est mon incapacité à vivre seul ? Je peux même avoir tout décortiqué des relations avec mes parents, avoir fait une psychanalyse, avoir tout compris de mes névroses… Et continuer à me réveiller chaque matin à 3 heures, en sentant que « je souffre ». Certains niveaux de souffrance ont été apaisés mais, au bout du compte, il y a toute une série de questions de fond, une quête de sens à laquelle je peux ne pas avoir répondu.

Confrontée au « je souffre », toute la psychothérapie occidentale réfléchit d’abord au deuxième terme de l’équation, c’est-à-dire « souffre », tandis que la spiritualité, notamment le bouddhisme, s’intéresse principalement au « je ». « Quel est ce “je” qui souffre ? » demande-t-elle. Au seuil de cette quête existentielle, le psy que je suis doit s’arrêter. Je n’ai ni la légitimité ni la compétence pour accompagner la personne dans cette recherche. Mais si cette question de l’essence fondamentale de l’être se pose à mon patient après que l’on a retiré ensemble tout son fatras de névroses, on peut dire que le travail est réussi. Il lui reste à poursuivre son cheminement spirituel et philosophique, un parcours tout aussi chaotique et fondamental que la thérapie.

PRATIQUE :
Où trouver un soutien ?

Alternative ou prélude à une consultation « psy », les groupes de parole ou Numéros Verts permettent à chacun de formuler sa souffrance. Voici quelques-uns de ces espaces offrant écoute et soutien moral.

Violences
=> SOS femmes violences conjugales. T. : 01.40.33.80.60. Pour les victimes de violences psychologiques, morales ou physiques au sein du couple.
=> Numéro national d’aide aux victimes : 0.810.09.86.09 (prix d’un appel local). Service d’écoute de toutes victimes quelle que soit l’agression subie (vol à l’arraché, violences physiques, sexuelles…).

Deuil
=> Vivre son deuil, 7, rue Taylor, 75010 Paris. T. : 01.42.38.07.08. Ligne d’écoute : 01.42.38.08.08. Internet : www.vivresondeuil.asso.fr/. Ecoute téléphonique, entretiens individuels, groupes de parole et de soutien psychothérapique.
=> Apprivoiser l’absence, Maison Saint-Jean, 5, rue Maurice-Labrousse, 92160 Anthony. T. : 01.40.89.06.21.

Suicide
=> Suicide écoute, 16, rue du Moulin-Vert, 75014 Paris. Ligne d’écoute : 01.45.39.40.00. Internet : www.suicide.ecoute.free.fr. Ecoute téléphonique 24 heures sur 24, par des bénévoles formés.

Soutien moral
=> SOS Amitié, 11, rue des Immeubles-Industriels, 75012 Paris.
T. : 01.40.09.15.22. Internet : www.sos-amitie.com (numéros d’écoute par région). Ecoute téléphonique gratuite, 24 heures sur 24.
=> La Porte ouverte, 21, rue Duperré, 75009 Paris. T. : 01.48.74.69.11. Numéro Vert : 0.800.21.21.45. Internet : www.apmcj.com/PO/. Ecoute anonyme gratuite et sans rendez-vous, par des bénévoles formés.

(Sandrine Cochard)